La prière que Jésus propose à ses disciples se retrouve dans les Evangiles de Matthieu et de Luc.
Si les prières sont proches – nous y reviendrons – les circonstances qui ont conduit Jésus à donner cet enseignement diffèrent.
Dans le récit de Luc, Jésus répond à une demande précise d’un de ses disciples. Il a vu Jésus prier, et ce qu’il a vu de la prière de Jésus l’encourage à poser cette demande : » Seigneur, enseigne-nous à prier, comme Jean aussi l’a enseigné à ses disciples. » (v.1)
Le récit de Matthieu s’inscrit dans un cadre plus vaste.
Jésus apporte un enseignement sur le Royaume, appelé communément « le sermon sur la montagne » et y aborde, parmi d’autres choses, ce que l’on peut considérer comme étant les trois piliers de la piété juive : la prière, l’aumône et le jeûne.
S’il ne remet pas en question ces pratiques, il en démonte les mécanismes profonds.
On peut les pratiquer pour donner l’illusion que l’on est quelqu’un de respectablement religieux … alors que ce sont des attitudes de piété qui relèvent de notre intimité avec le Seigneur, et se vivent sans témoins, si ce n’est Dieu seul.
De plus, Matthieu introduit l’enseignement sur la prière par une invitation à entrer dans la chambre secrète : « Mais toi quand tu pries, entre dans la pièce la plus retirée, verrouille la porte et prie ton Père qui est dans le secret; et ton Père qui voit dans le secret, te (le) rendra » (v.6)
Nous l’avons déjà indiqué, ce qui surprend dans la réponse/enseignement proposé par Jésus c’est l’absence d’un « discours » sur la prière. Il ne dit rien de la manière dont on doit se tenir pour prier, il n’énumère pas davantage les différents types de prières : louange, intercession, repentance, demande … Il laisse cet enseignement à d’autres.
Sa réponse peut être considérée comme une sorte de Psaume, une prière à dire.
Ce qui peut nous étonner lorsqu’on compare les deux prières, c’est de découvrir qu’elles disent les mêmes choses, mais avec de sensibles variantes.
La prière que nous connaissons sous le titre de « prière œcuménique » et qui date de 1966 (modifiée en 2013 par l’Eglise catholique), tente une synthèse de ces deux prières, en y ajoutant une conclusion qui ne se trouve pas dans les Evangiles : « car c’est à toi qu’appartiennent le règne la puissance et la gloire pour les siècles des siècles. Amen »
Toutes les prières publiques du Notre Père ne comportent d’ailleurs pas cette finale et s’arrêtent au « délivre-nous du mal ou du Malin. Amen »
Ne nous laissons pas « enfermer » dans une seule lecture de cette prière. Les variantes de ses différentes versions nous encouragent à rester libres devant ce texte, et non en présence d’une prière qui devrait être dite telle qu’elle nous est donnée.
On peut dire qu’elle nous propose un « cadre » de prière qui nous offre une grande liberté de lecture et d’expression.
Cela pose d’ailleurs la question de sa « répétition ». Est-ce une prière à dire telle quelle, ou doit–elle être considérée comme un support à une prière plus vaste ?
Elle est répétée à chaque office du côté catholique, comme du côté réformé, à la fin de chaque culte.
Est-ce une pratique à encourager ?
Cela ne peut certainement pas nous faire de mal mais nous aider à intégrer davantage cette prière à notre propre vie de prière.
Nous verrons plus loin que cette prière comporte une sorte de synthèse de toutes les demandes que nous sommes invités à présenter à Dieu. On peut donc la prendre comme « cadre »d’une prière plus vaste, en sachant que l’essentiel y est dit.
Comparons brièvement les textes de Luc et de Matthieu, mis en perspective dans la prière œcuménique :
Luc 11:2-4
Père, Que ton Nom soit sanctifié Que vienne ton règne
Donne-nous le pain du jour, jour après jour
Remets-nous nos péchés Comme nous-mêmes nous remettons à chacun de nos débiteurs
Et ne nous emporte pas dans l’épreuve
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Matthieu 6:9-13
Notre Père, dans les cieux Que ton Nom soit sanctifié Que vienne ton règne Que ta volonté soit faite dans le ciel et aussi sur terre
Le pain de ce jour-ci, donne-nous aujourd’hui
Remets-nous nos dettes Comme nous avons remis à nos débiteurs
Et ne nous emporte pas dans l’épreuve Mais délivre-nous du malin
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PRIERE OECUMENIQUE
Notre Père qui est aux cieux
Que ton Nom soit sanctifié
Que ton règne vienne
Que ta volonté soit faite
sur la terre comme au ciel
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour
Pardonne-nous nos offenses
Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés
Et ne nous soumets pas à la tentation
(Et ne nous laisse pas entrer en tentation)
mais délivre-nous du mal
Car c’est à toi qu’appartiennent
le règne, la puissance et la gloire
Au siècle des siècles
Amen
La comparaison entre ces trois lectures du Notre Père pourrait facilement nous prendre l’espace d’un weekend. Notre approche ne sera que « survol ».
Quelques remarques générales :
Le Notre Père est la prière d’un pauvre.
Contrairement au pharisien qui fait étalage de ses qualités et de ses mérites, cette prière ne nous laisse aucune possibilité de nous mettre en avant.
Nous n’avons rien à faire valoir, si ce ne sont nos manques : l’attente du pain de ce jour, du pardon et la garde devant la tentation …
Et même, lorsque nous demandons le pardon de Dieu, celui-ci est mystérieusement conditionné à notre propre capacité de pardonner : « comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » Il n’y a peut être pas prière plus engageante et plus exigeante !
Nous nous adressons à Dieu en l’appelant « Père »
En nous disant « Père » (Luc) ou « Notre Père » (Mt.) Jésus nous invite à prier Dieu comme il le prie lui-même.
L’ancien testament utilise différents vocables pour nommer Dieu. Même s’il est reconnu comme Père d’Israël, il ne sera pratiquement jamais nommé de cette manière.
En donnant ce nom de Père à son Père et en nous invitant à faire de même, Jésus nous fait découvrir l’étonnant visage de Dieu qui nous révèle notre propre identité devant lui. Nous sommes ses fils et ses filles. D’ailleurs le terme « Père » en araméen se dit « Abba » Nous pourrions donc commencer le Notre Père par ce mot ! Signe d’une étonnante intimité. Nous prions notre « papa » !
En lui disant « Père », nous nous reconnaissons comme ses enfants et nous découvrons en Jésus un « frère ».
Mais il y a plus encore, ce Père des cieux n’est pas le Père des seuls catholiques, des seuls protestants ou des seuls orthodoxes, ni de ceux qui se croiraient seuls détenteurs de la vérité. Il est le Père de tous les hommes ! De ceux qui le reconnaissent comme Dieu, comme de ceux qui le rejettent ! Dieu est père de tous et cette prière nous invite à nous reconnaître comme enfants de ce Père. Ce qui n’est manifestement pas le cas de ceux qui le refusent. Mais en disant cela Jésus nous révèle que ce Père, son Père, aime tous les hommes et qu’il attend leur retour à la maison …
Pourquoi « Notre » Père ?
Nous l’avons indiqué, alors que Jésus nous dit « tu » dans la présentation du lieu de la prière : « pour toi, quand tu pries … » dans la prière qu’il nous donne, il nous invite à dire « nous »
Lorsque je prie cette prière, je le fais en communion avec des millions d’autres croyants qui la prient en même temps que moi. Cela élargit ma prière aux dimensions de l’univers et peut-être aussi que cela m’encourage à dire cette prière plus souvent. En la disant, je sais que je ne suis pas seul !
Père du ciel
La première demande de la prière nous décentre de nous-mêmes.
Notre préoccupation : que son Nom soit sanctifié, son règne vienne et sa volonté s’accomplisse. Que sa présence soit manifestée dans ma vie, mais aussi dans la vie du monde, m’invite à lever les yeux et à laisser pour un temps mes soucis, mes préoccupations, mes frustrations de même que mes grands désirs et mes grandes ambitions.
Il y a du souffle dans cette demande. Mon regard se porte plus haut que les basses contingences de la vie.
Nos besoins viendront plus tard. Dieu est premier dans notre prière et doit le rester !
Le pain du jour
La tournure de la demande est difficile.
« Pain du jour, jour après jour » (Luc) – « pain de ce jour-ci, donne-nous aujourd’hui » (Mt) ou « notre pain quotidien » devenu « notre pain de ce jour » …
S’agit-il du pain matériel dont nous avons besoin pour nourrir notre corps … ou d’un autre pain qui serait nourriture de notre âme ? Le débat est ouvert parmi les commentateurs.
Nous ne nous y arrêterons pas, mais la question est passionnante … Le pain demandé serait-il alors le pain du Royaume !
Mais on peut légitimement voir dans cette demande du « pain », le résumé de toutes nos demandes matérielles : la nourriture, le logement, le travail, la famille, la vie affective …
Encore une fois, aucun orgueil. Tout ce que nous croyons posséder est fruit de la grâce et de l’amour de Dieu. Ce que je crois avoir « accumulé » m’a été donné … à moi d’être celui qui prolonge la main de Dieu et donne à celui qui n’a pas.
Si notre demande est fidèle, elle concerne l’aujourd’hui de nos vies … notre « demain » ne nous appartient pas; il appartient à Dieu. C’est dans la confiance que nous prions … même si justement nous sommes dans l’angoisse de ce que pourrait nous réserver demain.
Et les raisons d’être angoissés pour demain sont nombreuses. Cette demande vise aussi à apaiser nos cœurs. Humblement nous nous remettons à la grâce et la tendresse de Dieu.
Le pardon
On pourrait aborder cette demande avec une certaine légèreté si le pardon donné ne dépendait pas de notre propre capacité à pardonner.
Combien de « non » pardons ne traînons-nous pas derrière nous ? De ces rancoeurs, de ces blessures données ou subies qui empoisonnent littéralement nos vies ? On pardonne peut-être, mais on n’oublie pas la blessure ou l’offense. Le pardon que Dieu nous accorde généreusement devrait nous rendre capables de pardonner à notre tour. On ne devrait pas pouvoir prononcer cette prière sans aller vers le frère ou la sœur avec qui nous avons un différent. Ce pardon Jésus l’a vécu, jusqu’au don de sa vie et il nous demande d’être nous aussi porteur de ce pardon.
La tentation : « ne nous soumets pas à la tentation »
Cette nouvelle demande souligne un peu plus, s’il en était besoin, notre profonde pauvreté.
Notre casse-croûte dépend de Dieu, nous sommes misérables et incapables de pardonner à la mesure de Dieu … et qui sommes-nous devant la tentation ou le tentateur (le Malin) ?
Cette demande, dans sa formulation est ambiguë. Dieu serait-il à la source de nos tentations ?
Cela ne se peut, comme le rappelle l’épître de Jacques : « Que nul, quand il est tenté, ne dise : « Ma tentation vient de Dieu » Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et ne tente personne. » Jc.1:13 La tentation a une autre source. C’est notre convoitise qui éveille en nous le désir de l’interdit. Succomber est de notre responsabilité. La nouvelle lecture proposée du côté catholique fait référence à une tournure sémitique qui pourrait alors se dire : « fais que nous n’entrions pas en tentation », ou encore « fais que nous n’entrions pas dans les pièges du tentateur » traduit aujourd’hui par « Ne nous laisse pas entrer en tentation »
Face à la tentation, nous avons besoin de l’aide de Dieu pour être délivrer des manigances du tentateur, le Malin, qui cherche toutes les occasions pour nous faire tomber. D’où la demande qui clôture cette section : « Délivre-nous du mal, ou du Malin. »
Peut-être ne sommes-nous pas toujours assez conscients de ce travail de sape opéré par celui qui est l’ennemi de nos âmes. Il a une redoutable manière de se cacher qui pourrait nous conduire à nous tromper d’adversaire. C’est bien lui qui est à l’œuvre et cherche par tous les moyens à nous éloigner de Dieu. Cette prière nous le rappelle.
La doxologie finale : « Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire au siècle des siècles »
Cette finale ne se trouve ni dans Luc ni dans Matthieu. Elle apparaît dès le début du 2ème siècle dans la Didachè.
A-t-elle été ajoutée pour que cette prière se termine par une note positive ?
Nous l’avons dit, c’est une prière de pauvre. Elle n’a rien de l’orgueil de quelqu’un qui se croirait spirituellement arrivé. Bien au contraire. Nous sommes pauvres, à l’image de la première béatitude : « heureux ceux qui se savent pauvres en eux-mêmes ». Une pauvreté qui n’a rien d’un apitoiement sur nous-mêmes, mais qui nous ramène à une juste vision de ce que nous sommes : des pécheurs sauvés par grâce.
Avec cette finale, les demandes du Notre Père se trouvent incluent dans une parenthèse entre Dieu qui est au ciel et la manifestation de sa gloire « au siècle des siècles ».
Que faire de cette prière ?
Nous sommes invités à la faire nôtre, non dans une répétition servile, mais en la gardant comme cadre d’une prière plus vaste. S’arrêter sur chaque demande et l’amplifier en fonction de nos attentes et de celles de ceux que nous confions à Dieu dans nos prières nous gardera d’un repli sur nous-mêmes et sur nos préoccupations, même si nous ne sommes pas invités à les taire.
L’honneur de Dieu y est premier, nos besoins matériels sont seconds et ne peuvent être priés sans l’exigence du pardon mutuel et la garde devant la tentation.
Suggestion :
Ne pourrait-on envisager une réunion de prière communautaire qui prendrait comme trame le Notre Père ?