Les ministères féminins dans l’Église – Approche socio-historique

Les ministères féminins dans l’Église – Approche socio-historique

LES MINISTERES FEMININS

Approche socio-historique

Conférence/débat – EGLISE PROTESTANTE EVANGELIQUE D’OHAIN – 14  janvier 2014 – Claude Vilain

 

INTRODUCTION

Quelle place accorder aux sœurs dans l’exercice d’un ministère public ?

Nous abordons un sujet éminemment sensible. Et surtout nous ne sommes pas « neutres » devant cette question. Nous l’abordons avec nos préjugés, notre éducation, nos expériences … qui vont bien souvent nous influencer de manière inconsciente … Et que dire de l’extraordinaire pression exercée par notre culture occidentale ?

Un sujet qui a suscité d’innombrables ouvrages et débats, source de conflits et de divisions dans certaines Eglises …

Le blocage se fait autour de trois textes jugés restrictifs :

Le voile de la femme – coutume locale ou interdit universel et intemporel ?

Quel rapport entre les anges et le voile de la femme ? (1 Cor 11)

L’interdit de « parler » dans l’Eglise (1 Cor 14) et d’y apporter l’enseignement qui serait une prise d’autorité sur l’homme (1 Tm 2).

L’interdit d’enseigner qui trouverait sa source dans le fait que c’est Eve qui séduite à entraîné l’homme dans la désobéissance ?

Et que penser du salut de la femme à travers la maternité ?

 

Au regard de ces textes, certains en sont arrivés à envisager clairement que la femme ne peut être qu’inférieure à l’homme, subordonnée à l’homme … en s’appuyant sur une lecture réductrice de ces textes …

L’auteur d’un livre sur la question, après avoir consulté plus de 300 commentaires, en arrivait à la conclusion d’une quarantaine de lectures différentes …

 

Si ces textes posent question, le danger n’est-il pas de s’arrêter à ceux-ci et d’oublier les autres passages qui ouvrent d’incroyables libertés aux sœurs, dans un contexte pourtant profondément misogyne,

Que faire devant l’attitude « révolutionnaire » de Jésus ou même de l’apôtre Paul, entouré de sœurs qui prennent une part active à son ministère ?

Que dire des premières communautés où se vit une communion qui a renversé les barrières sociales, ethniques et sexuelles : ni esclaves, ni libres – ni Juifs, ni païens – ni hommes, ni femmes (Gal 3:28)

En n’oubliant pas que l’accès à la communauté chrétienne se fait par le baptême, alors qu’en Israël la marque d’appartenance était la circoncision …

 

Aborder sereinement ces textes n’est pas facile, même si aujourd’hui la question a perdu de sa densité passionnelle. Lorsque je l’ai abordé dans mon mémoire à la fac de Vaux en 1974, on était au cœur du débat sur cette question … ce qui, à l’époque m’a valu quelques anathèmes !

Si notre regard a changé, est-ce seulement le fait de la pression énorme exercée par notre société occidentale, ou sommes-nous en présence d’une relecture des textes sur la femme qui auraient été mal interprétés au cours de l’histoire de la chrétienté ?

Depuis le début du 20ème siècle la situation de la femme a  considérablement évolué. L’accès à l’éducation universitaire pour les femmes ne date que de la fin du 19ème siècle et après de rudes combats … Le vote des femmes date de 1928 pour l’Angleterre, 1945 pour l’Italie, 1948 pour la Belgique et seulement 1971 pour la Suisse !

Aujourd’hui, on a bétonné dans des lois, l’égalité absolue de l’homme et de la femme, on voudrait arriver à l’obligation d’une totale parité dans les conseils d’entreprises, comme au niveau ministériel … mais les résistances sont encore vives.

La femme dispose librement de son corps que ce soit pour réguler sa fécondité ou pour avorter …

Aujourd’hui se pose même la question du « genre » … est-on « homme » ou « femme » par l’éducation, ou y a-t-il un déterminisme biologique qui nous différencie ?

 

Mais ce qui est vrai pour notre société occidentale fait encore obstacle non seulement dans l’Islam, mais aussi dans les cultures asiatiques. La femme y joui d’une liberté limitée, voire même totalement dépendante de son mari ou des membres de sa belle-famille.

 

En Indes, dans certains villages, les filles sont immédiatement tuées à la naissance, souvent enterrées vives. Une situation qui conduit à un déficit chronique de femmes dans tous les pays d’Asie.

« Les avortements sélectifs selon le sexe et les négligences dans le traitement des petites filles, à l’origine de leur surmortalité, sont responsables de la plus grande partie du déficit, les autres formes de discrimination (notamment l’infanticide féminin) ne jouant plus qu’un rôle mineur. Ces pratiques découlent directement du statut inférieur des femmes dans ces sociétés : système patriarcal, familles patrilinéaires, socialisation encourageant la soumission à leur mari et à leur belle-famille, mariages arrangés … Il faut un fils pour maintenir la famille, perpétuer son nom et en assurer la reproduction sociale et biologique ».

Le monde diplomatique –juillet 2006

 

Encore aujourd’hui, dans beaucoup de sociétés traditionnelles, hommes et femmes vivent dans des univers différents. Si le jeune garçon grandit dans le monde des femmes, dès qu’il atteint sa maturité vers l’âge de 7 ans, il bascule dans le monde des hommes. Même dans l’univers familial, les hommes mangent en premier, les femmes ensuite …

La mixité que nous connaissons dans notre société occidentale qui nous semble totalement naturelle, est donc un phénomène relativement récent.

Une recherche sur la mixité dans l’Islam est instructive :

La mixité entre hommes et femmes peut mener à l’indécence, la convoitise et l’infamie. Allah, Le Tout Sage, a ainsi ordonné aux femmes de rester chez elles; mais si elles éprouvent le besoin de sortir comme c’est le cas des femmes qui travaillent, elles ne doivent pas exhiber leur beauté, et si un dialogue doit être tenu avec les hommes, elles doivent tenir un langage décent et sérieux. Allah, qu’il soit Exalté, dit dans le Coran :

Le croyant qui voit une femme perd tout contrôle de lui-même, au lieu de prier Allah, il veut forniquer la femme sans même l’épouser. 

 

Une des raisons du rejet, voir du mépris de la femme ne trouverait-il pas son origine, non dans la femme elle-même, mais dans le regard que l’homme porte sur elle ? Accorder l’éducation aux femmes, c’est prendre le risque de découvrir qu’elle pourrait se révéler plus « intelligente » que l’homme.

Lui accorder la possibilité de sortir du cercle retreint de la famille, c’est l’exposer aux regards des autres hommes qui pourraient se laisser séduire … Où est le problème ? Chez l’homme ou chez la femme … honte sur nous messieurs ! Nous reportons sur les femmes nos propres fantasmes et pour nous préserver de nos propres faiblesses, nous préférons les enfermer dans nos maisons ou dans des vêtements qui ne laissent rien voir …

Pourquoi  la femme surprise en adultère conduite à Jésus est-elle seule ? Où est son compagnon d’adultère ?

Nous portons un lourd héritage de rejet et de mépris, jusque dans l’Eglise !

Lors d’un colloque sur la question du ministère féminin qui s’est tenu en Suisse dans les années 70, la rencontre s’est terminée par une prière de repentance au cours de laquelle les hommes étaient invités à demander pardon aux femmes de tout ce poids  de mésestime, de méfiance, de rejet, qui avait marqué douloureuse les 19 siècles de l’histoire de l’Eglise … à quelques exceptions près !

 

Notre démarche :

 

Dans un premier temps nous ferons un rapide survol de la situation de la femme dans l’Israël de l’AT, à l’époque du Christ pour y découvrir l’originalité de son attitude, et ensuite ce que nous indique le livre des actes et les écrits pauliniens.

Nous verrons ensuite comment ces textes on été lus au cours de l’histoire de la chrétienté et en quoi cette lecture nous a influencé dans notre propre compréhension de ceux-ci.

 

APPROCHE BIBLIQUE ET CULTURELLE

 

AT :

L’égalité foncière de l’homme et de la femme est affirmée dès les premiers chapitres de la Genèse : homme et femme il les créa. Peut-on dire que le récit du chapitre 2, qui dissocie création de l’homme et création de la femme est normatif ? N’est-il pas plutôt une « parabole » pour exprimer les rapports de l’homme à la nature, au monde animal et dans ce qu’il a de plus intime, cet autre lui-même qu’est la femme. La rupture de l’alliance vient mettre à mal cette harmonie originelle : l’homme dominera, la femme souffrira et ses désirs se porteront vers son mari … Peut-on dire que cette malédiction a marqué profondément et marque encore la grande majorité des sociétés humaines ?

La femme est mineure dans la culture vétérotestamentaire. Polygamie, répudiation, divorce à l’avantage de l’homme. La femme est toujours « propriété » de quelqu’un : son père – son mari – sa famille ou sa belle famille en cas de décès de celui-ci … Elle ne va toutefois pas, comme en Inde, être brûlée sur le bûcher de son mari ou connaître le statut méprisant accordé aux veuves.

Quelques personnages marquants : Sara – Myriam (sœur de Moïse) – Déborah  (Juge en Israël) – Houlda (2 R 22:14) …

C’est un fait qu’aucune femme ne pouvait accéder à la prêtrise et que la marque de l’appartenance à la communauté d’Israël était la circoncision.

Il semble que la condition de la femme se durcit au retour de l’exil.

A l’époque de Jésus, la situation de la femme est moins enviable que dans la société gréco-romaine. Dans les familles aisées, la femme ne peut pas participer à la vie publique, elle est cantonnée dans les pièces réservées aux femmes, ne peut sortir seule, et doit impérativement être voilée. La situation est moins rude en milieu rural où existe, en raison des exigences du travail agricole, une certaine mixité. Mais parler à une femme que l’on ne connaît pas reste une attitude indécente pouvant valoir à celle-ci la répudiation sans dédommagement !

Mettre au monde une fille est ressenti comme une déception, si ce n’est un malheur.

L’éducation, et en particulier l’éduction religieuse – étude de la Torah – est strictement réservée aux garçons.

 

Dans la société gréco-romaine :

Pas facile de faire la part entre restrictions et liberté. On trouve des textes qui offrent à la femme un large espace de liberté, d’autres qui la cantonne aux tâches subalternes. Et ici on ne parle pas de la situation des esclaves qui représentaient 80 % de la population dans l’empire romain et qui ne disposaient d’aucuns droits!

A Rome, la femme est mater familias – avec tout le respect que lui confère ce titre – ou putain !

On voit toutefois poindre des signes d’émancipation de la femme dans les grandes cités urbaines, mais les revendications féminines ne se font pas sans heurts et sans radicalisation. On est proche du contexte des suffragettes du début du siècle en Europe et aux USA …  Des revendications qui viennent bouleverser l’ordre social, dont on retrouvera peut-être un écho dans les mises en garde de Paul …

 

Les Evangiles :

Dans ce contexte, l’attitude de Jésus apparaît totalement radicale.

Jésus aborde les femmes avec une totale liberté, sans aucun préjugé. Une attitude qui choquera ses contemporains, et même les disciples – Jésus et la femme de Samarie.

L’annonce faite à Marie, première informée de l’intention de Dieu de visiter son peuple. Fait nouveau. Dieu s' »adresse directement à elle « sans intermédiaire » contrairement à l’annonce de la naissance de Jean Baptiste ou d’Isaac.  Dieu s’adresse à Zacharie, à Abraham en premier …

Elizabeth sera la première à saluer l’incarnation du Sauveur

Anne dans le temple parle de Jésus à tous ceux qui attendaient la délivrance d’Israël … une attitude pour le moins surprenante !

Et que dire de ces quatre femmes mentionnées dans la généalogie de Jésus

Durant son ministère public, Jésus se verra entouré de femmes (Lc8:1-3) Marie, dite de Magdala, Jeanne femme de Chuza, Susanne et plusieurs autres qui l’assistaient de leurs biens. Un maître n’était suivi que par des disciples hommes.

On peut mentionner l’entretien avec la femme de Samarie : une étrangère, une femme à la vie sentimentale difficile … à qui Jésus révèle la nouvelle manière dont Dieu désire être adoré !

Pour les scribes, enseigner une femme est une perte de temps, autant donner des perles à des cochons …

La femme surprise en adultère … que Jésus accueille et apaise

La femme atteinte d’une perte de sang … Jésus se laisse toucher par elle et prend sur lui son impureté …

La femme syro phénicienne dont la foi est louée …

La prostituée qui répand du parfum sur les pieds de Jésus et que Jésus site en exemple devant Simon le pharisien qui n’a pas su l’accueillir avec affection !

Ces récits nous semblent tellement habituels que nous n’en soupçonnons plus la radicalité.

L’attitude de Jésus s’inscrit dans cette démarche de reconnaître chaque homme, chaque femme en dehors des préjugés raciaux, sociologiques et sexuels … Même s’il est d’abord venu pour les brebis d’Israël, il ne craint pas de sortir des frontières d’Israël pour annoncer la bonne nouvelle du Royaume.

Dernier point :

A l’exception de Jean, où sont les apôtres lors de la crucifixion ?

Ce sont les femmes qui seront les premières à témoigner du tombeau vide et de la rencontre avec le ressuscité, un témoignage qui suscite l’incrédulité des apôtres. « Ils tinrent ces discours pour des rêveries et ils ne crurent pas les femmes » (Lc24:11) attitude sympathiquement misogyne !

En 1 Cor.15 l’apôtre ne mentionnera pas les femmes comme témoins de la résurrection pour d’autres raisons, parce que « juridiquement » ces témoignages n’ont pas de valeur !

 

Les Actes :

Dans le Temple de Jérusalem, espace pour les gentils, espace pour les femmes, espace pour les hommes … idem dans la synagogue, les femmes y sont souvent derrière un grillage, idem aujourd’hui dans les mosquées … On peut se demander ce qui a conduit certaines communautés chrétiennes à séparer hommes et femmes dans les lieux de culte … à gauche ou à droite dans la salle … pardon : « le local » !

Rien de cela dans les premières communautés chrétiennes. « Tous persévéraient dans la prière avec les femmes et Marie, mère de Jésus et avec les frères de Jésus » (Ac 1:14) Texte qui semble indiquer une simple continuité de ce que les disciples vivaient avec Jésus.

Lors de la pentecôte, l’Esprit est répandu sur tous ceux qui étaient présents …en évitant les femmes ? Pierre constatant cette manifestation de Dieu reprendra la prophétie de Joël « vos fils et vos filles prophétiseront … »

En Actes 21, nous découvrons le ministère prophétique des quatre filles du diacre Philippe.

Lors des premières persécutions, les disciples se réunissent chez une femme : Marie, mère de Jean Marc (Ac 12:12)

Plusieurs conversions de femmes sont mentionnées, dont Lydie (Ac 16:11-15) qui ouvrira sa maison à la première communauté chrétienne en terre païenne.

A Bérée se sont des femmes grecques « de haut rang » qui se convertissent (Ac 17:12), si elles sont mentionnées, cela sous-entend qu’elles ont dû jouer un rôle important dans la vie de cette communauté.

Aquilas et Priscille sont présents dans la fondation de l’Eglise de Corinthe, (Actes 18), qui plus tard enseigneront Apollos (Ac 18:26), se retrouvent mentionnés dans 1 Co 16:19 – Rm 16:3 – 2 Tim 4:19 … En parlant de l’enseignement d’Apollos, le texte indique clairement que Priscille et son mari ont été tous deux impliqués. (verbes au pluriel – au singulier, si Aquilas avait été seul à enseigner)

 

Les Epitres :

Lorsque Paul écrira à l’Eglise de Philippe, il mentionnera Evodie et Syntyche, qui semblent être en désaccord, mais qui ont pourtant joué un rôle important dans la diffusion de l’évangile : « elles qui ont combattu pour l’évangile avec moi » (Phil 4:2-3)

Si Paul ne mentionne pas les femmes comme témoins de la résurrection, par contre dans ses salutations elles sont largement présentes … difficile de croire que ce soit par courtoisie … Ce sont des femmes qui ont pris une part active dans son ministère, mettant leur maison à la disposition des jeunes communautés – On n’est pas conscient de ce que cette démarche  révèle comme « liberté » trouvée en Christ.

Si des femmes sont citées dans l’Ecriture, dans un univers dominé par les hommes, c’est toujours pour indiquer qu’elles ont joué un rôle négatif ou positif dans l’histoire du salut.

Les salutations de Romains 16 mentionne Phoebé comme « diaconesse » – seule mention de ce titre dans le NT – elle a été « protectrice »pour plusieurs.

Priscille et Aquilas y sont à nouveau nommés comme des « collaborateurs »

Marie qui s’est donné beaucoup de peine

Andronicus et Junias : un couple appelés « apôtres »

Il est parfois difficile de déterminer si ce sont des noms masculins ou féminins …

Au vu de toutes ces femmes qui ont pris une part active dans l’œuvre de Dieu, on a un peu de peine à comprendre les restrictions que l’apôtre semble imposer dans les trois textes incriminés. Nous y reviendrons.

 

Les différentes lectures

 

Comment vivre cette tension entre cette étonnante ouverture et les quelques textes restrictifs des épîtres aux Corinthiens et à Timothée  que nous avons mentionné ?

 

Neutraliser les textes : l’égalité est acquise en JC (Gal3:28)

C’est ce thème qui donne la ligne de lecture de tous les autres. Si Paul établit des limites, elles sont propres à son époque, donc non valables pour nous. Si on cherche ce qui pourrait encore être pertinent pour notre temps, mais on valorise essentiellement les textes qui vont dans le sens de la lecture contemporaine. Ce qui est contraire à la lecture ambiante est donc rejeté.

 

Lecture littéraliste : refus de toute forme de contectualisation. Les textes sont pris à la lettre. Les enseignements de Paul sont valables pour toutes les cultures et pour tous les temps (Mc Arthur). Une approche qui ne peut être que réductrice si l’on tient compte des textes qui expriment une ouverture.

 

Lecture contextuelle : on cherche à découvrir dans les textes ce que l’on peut considérer comme principe et structure – le principe ayant un caractère immuable, la structure étant liée aux facteurs circonstanciels ou culturels.

Pourquoi l’apôtre impose des limites, sont-elles le reflet de dérives à combattre ?

Ces limites ont-elles encore sens aujourd’hui ?

La question des convenances – élément culturel – a évolué (la tête couverte – le vêtement – la participation à la vie publique …)

 

SURVOL HISTORIQUE – la femme en Occident

 

La femme au regard des dogmes et des cultures

 

Nous sommes le reflet d’une culture.

La question est de déterminer la place qu’elle occupe dans notre compréhension de ces textes. Mais il est tout aussi essentiel de découvrir comment ils ont été reçus tout au long de l’histoire de l’Eglise et voir dans quelle mesure cette compréhension a pu, ou peut encore, nous influencer.

Nos « pères » étaient-ils plus libres que nous, ou étaient-ils, comme nous, formatés par la culture ambiante, certes différente, mais toute aussi prégnante.

Un survol de l’histoire de cette question nous semble essentiel.

 

L’Eglise se développe dans un environnement culturel particulier,  d’un côté la culture rabbinique et de l’autre la philosophie grecque.

Il nous faut ici voir dans quelle mesure la pression exercée par la culture occidentale jusqu’à la renaissance a été déterminante dans le cantonnement de la femme au seul cercle familial et qui trouvera, dans l’Eglise, l’interdit de la prêtrise du côté catholique et de l’accès au ministère pastoral chez les protestants.

La question est donc de savoir si les arguments qui limitent l’accès des sœurs à la parole s’appuient sur une juste compréhension des textes, ou sont le fruit d’une longue culture et d’influences externes à l’Ecriture.

 

Si la période apostolique confirme la large place accordée aux sœurs comme l’indique le livre des Actes et les salutations dans les épîtres. On voit pourtant des signes de repli dès le deuxième siècle. La didascalie des apôtres, à ne pas confondre avec la didachè, rédigée au 3ème siècle, retire à la femme le droit de prêcher, ainsi que de baptiser et enseigner, essentiellement pour des raisons de convenance et d’ordre. La pression extérieure prenant le pas sur la lecture traditionnelle des textes bibliques.

Notons que si ce droit à prêcher, baptiser et enseigner lui est retiré, c’est qu’il lui était accordé jusque là.

Cette pression ne fera que grandir avec les tentatives d’établir des ponts entre philosophie grecque et pensée chrétienne, sachant que Platon, Aristote ont tenus des propos souvent méprisants sur les femmes.

Sous l’influence des religions dualistes, se développe le mépris du corps et la valorisation de l’âme et avec lui le mépris de la sexualité.

Dès la fin du 2ème siècle la virginité devient la marque d’une vie sanctifiée et totalement consacrée à Dieu. Des groupes de femmes qui font vœux de virginité prennent de l’importance. Il est clair que la femme qui renonce volontairement à toute vie affective, « rachète » en quelque sorte la faute d’Eve et est donc donnée en exemple.

Déjà, lors du concile de Carthage en 390 – le deuxième canon mentionne clairement que si le mariage est autorisé pour les clercs, ceux-ci sont pourtant invités à le vivre dans l’abstinence complète.

Comme on l’a dit précédemment, il convient que les saints évêques et les prêtres de Dieu, ainsi que les lévites, c’est-à-dire ceux qui sont au service des sacrements divins, observent une continence parfaite, afin de pouvoir obtenir en toute simplicité ce qu’ils demandent à Dieu; ce qu’enseignèrent les apôtres, et ce que l’antiquité elle-même à observé, faisons en sorte, nous aussi, de le garder.

A l’unanimité, les évêques déclarèrent : Il nous plaît à tous que l’évêque, le prêtre et le diacre, gardiens de la pureté, s’abstiennent (du commerce conjugal) avec leur épouse, afin qu’ils gardent une chasteté parfaite ceux qui sont au service de l’autel.

 

Il est bien évident, dans un tel contexte que la femme, à l’image d’Eve devient la séductrice dont il faut se méfier.

Les nombreux commentaires sexistes des premiers siècles s’inscrivent dans cette optique du mépris du corps – la chair est méprisable –  et de la  valorisation de l’âme …

Cette peur des hommes devant le pouvoir séducteur de la femme va prendre des formes extrêmes :

 

Tertulien : thème de la femme tentatrice – lorsqu’elle sort du cadre strict de la famille et la maternité :

« Femme, tu es la porte du diable. Tu as persuadé celui que le diable n’osait pas attaquer en face. C’est à cause de toi que le Fils de Dieu a dû mourir, tu devrais t’en aller vêtue de deuil et de haillons. »

Pour appuyer l’idée de la supériorité de l’homme sur la femme : Ambroise :

« Adam a été conduit au péché par Eve et non Eve par Adam. Celui que la femme a conduit au péché, il est juste qu’elle le reçoive comme souverain. »

Jean Chrysostome :

« En toutes les bêtes sauvages, il ne s’en trouve pas de plus nuisantes que la femme. »

 

L’influence d’Aristote (384-322 av JC), dont on va redécouvrir les écrits vers le milieu du 12ème siècle va littéralement plomber la question.

Pour Aristote, la femme ne peut être qu’inférieure à l’homme.

L’homme est forme de par sa semence qui donne la vie, la femme n’est que matière puisque c’est dans le terreau de son ventre que la semence de l’homme se développe.  Les connaissances anatomiques de l’époque donnent à penser que la femme n’est que la « terre » qui va permettre à la semence de l’homme de donner un nouvel être humain.

Thomas d’Aquin (1224-1274) qui propose une relecture chrétienne d’Aristote, s’il ne va pas, comme on l’a trop facilement dit, aller jusqu’à douter que la femme ait une âme, la considère comme un mâle « manqué »

 

Ce regard posé sur la femme est ambivalent – d’un côté Marie l’exemple absolu de la femme selon le cœur de Dieu, celle qui par son obéissance permet le rachat de toute l’humanité, et avec elles, toutes celles qui font vœux de consacrer entièrement leurs vies à Dieu, et de l’autre la femme dans sa dimension de séductrice. La sainte et la putain !

Ce statut de vierges consacrées a d’ailleurs permis à certaines moniales de jouer un rôle considérable, on peut en particulier citer l’abbaye de Fontevraud, en Anjou, qui, à partir du 13ème  siècle, sera dirigée pendant presque deux siècles par des abbesses issues de la famille royale des Bourbons. Des femmes qui prendront  autorité non seulement sur les monastères féminins, mais aussi masculins !

N’oublions pas non plus ces femmes remarquables que l’Eglise a reconnu comme « docteurs de l’Eglise », faisant ainsi une entorse à l’interdit de Paul en Timothée !

 

La Réforme protestante, si elle met fortement l’accent sur le sacerdoce universel des croyants, auquel les sœurs sont pleinement associées, si elle supprime le célibat des ministres du culte et revalorise le mariage, restera toutefois très prudente dans l’accession des femmes à des ministères publics.

Pour Luther, la femme a été créée pour être proche de l’homme, pour soigner les enfants et les élever, et pour être soumise à l’homme. »

Calvin redira la même chose, même s’il tient les femmes en haute estime : « les femmes sont nées pour obéir » écrit-il dans son commentaire sur Timothée.

Il faudra attendre l’époque moderne pour voir évoluer le regard porté sur la femme.

John Stott écrira : « les hommes n’ont pas reconnu les dons des femmes : ils ont étouffé leur personnalité, restreint leur liberté, exploité leurs compétences dans certains domaine et les ont empêchées de les exercer dans d’autres. »

 

Le tableau n’est pourtant pas aussi sombre.

Il y a eu à plusieurs reprise des ouvertures qui ont permis aux sœurs d’exprimer leurs dons, en particulier dans les grandes périodes de réveils au 18ème et 19ème siècle. John Wesley, encourage les sœurs à prêcher, un siècle plus tard ce sera l’Armée du Salut qui inscrit dans ses statuts la plus totale égalité entre hommes et femmes.

Le développement des missions offrira aux sœurs l’occasion de prendre une part active dans l’évangélisation, l’éducation et l’enseignement, même religieux, avec ce paradoxe que ce qui leur est largement permis dans les colonies leur restera refusé dans la métropole.

Il faudra attendre le 20ème siècle pour qu’apparaissent des changements substantiels.

Si l’accès à la prêtrise reste verrouillé, tant du côté catholique que du côté orthodoxe, la situation  évolue du côté protestant et même du côté évangélique.

Si les pays d’Asie, et la Chine en particulier, connaît plus de femmes pasteurs que d’hommes, l’Europe reste plus résistante.

 

Conclusion

 

Si nous reconnaissons que les influences externes ont joué et jouent encore un rôle important dans ce débat, il nous faut impérativement reprendre les textes bibliques sur la question.

Nous imposent-ils une lecture « verrouillée » ou sont-ils à mettre en perspective en tentant de préserver ce qui est de l’ordre de la permanence et ce qui relève du culturel.

Travail hautement difficile qui exige beaucoup de modestie et de prudence.

Nous aborderons donc, lors de notre prochaine rencontre les textes litigieux, à savoir :

1 Corinthiens 11:2-16

1 Corinthiens 14:33b-35

1 Timothée 2:9-15

 

Lire le texte de l’exposé de la rencontre du 28/01/2014 (Approche exégétique)

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