Et, qui est mon prochain …

Et, qui est mon prochain …

Un spécialiste de la loi se leva et dit à Jésus, pour le mettre à l’épreuve :

« Maître, que dois-je faire pour  hériter la vie  éternelle? »

Jésus lui dit: « Qu’est-il écrit dans la Loi? Comment est-ce que tu le comprends? » Le légiste répondit: « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain, comme toi-même. »

Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela, et tu auras la vie. Mais lui voulant se justifier, dit à Jésus: « Et, qui est  mon prochain? »

Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba aux mains de bandits qui le dépouillèrent, le rouèrent de coups et s’en allèrent en le laissant à demi-mort. Par hasard, un prêtre descendait par le même chemin ; il le vit et passa à distance. Un lévite arriva de même à cet endroit ; il le vit et passa à distance. Mais un Samaritain qui voyageait arriva près de lui et fut ému aux entrailles lorsqu’il le vit. Il s’approcha et banda ses plaies, en y versant de l’huile et du vin ; puis il le plaça sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie et prit soin de lui. Le lendemain, il sortit deux deniers, les donna à l’hôtelier et dit : « Prends soin de lui, et ce que tu dépenseras en plus, je te le paierai moi-même à mon retour.»

Jésus demanda à ce lévite : « À ton avis, lequel des trois voyageurs a été le prochain de l’homme attaqué par les bandits ? » Le maître de la loi répond : « C’est celui qui a été miséricordieux avec lui. » Alors Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais la même chose ! »

Luc 10.

 

« Maître, que dois-je faire pour  hériter la vie  éternelle?», c’est la première de deux questions posées à Jésus, par un religieux, spécialiste de la loi de Moïse. Pour la poser, cet homme se met debout, afin de s’inscrire dans une position  d’égalité avec Jésus, et, ce lorsqu’un maître pose une  question à un égal et qu’il en connaît la réponse! Luc ne laisse planer aucun doute sur le but de cette question posée et, il souligne l’esprit retors de ce scribe en utilisant un verbe grec dont le sens est mettre à l’épreuve, tenter, piéger.

Cette réponse il la connaissait, elle était inscrite dans la thora, dans le livre du Lévitique: « Tu ne détesteras pas ton frère dans ton cœur […] Tu ne te vengeras pas ; tu ne garderas pas de rancune envers les gens. Je suis le Seigneur. »

Jésus évite le traquenard en invitant ce questionneur à rechercher la réponse dans la loi, tout en lui posant la question de sa compréhension de celle-ci. Ce dernier répond en citant le résumé de toute la Loi: « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain, comme toi-même. »

Mais, notre homme est de mauvaise foi et comme le débat est public, il veut se justifier en posant une seconde question à Jésus: « Qui est mon prochain ?» Au vu du climat de cette joute verbale, Jésus subodore un second piège et prudemment, il donne sa réponse en utilisant un genre littéraire particulier : la parabole. Celle-ci est une forme d’expression qui permet de dire des vérités fortes, directes, sans qu’aucun lien avec la réalité ne puisse être démontré. Comme elle n’est qu’une histoire, les personnages et les lieux, n’ont aucun ancrage dans le réel. Dès lors, aucune phrase, aucune image ne peut constituer un motif d’accusation à charge de l’auteur. La parabole ne sera pas le centre de notre méditation, nous ne considérerons que le face-à-face entre Jésus et cet homme de loi. Le plus grand commandement n’établit pas de choix privilégié entre  Dieu et le prochain. Dans sa première lettre (4, 20), Jean nous le confirme:

« Si quelqu’un dit : J’aime Dieu et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne peut pas aimer Dieu, qu’il ne voit pas. »

C’est dire qu’il n’est donc pas possible, au vu du texte biblique, d’aimer l’un et de rejeter l’autre, de rejeter l’un et d’aimer l’autre.

Aimer Dieu, pour cet homme pieux semblait être à sa portée, il suffisait de  respecter la loi, mais, aimer le prochain apparaissait moins évident, car l’Ancien Testament n’était pas précis sur la définition du prochain.

La réponse finale de Jésus à cette question sera une autre question : « À ton avis, lequel des trois voyageurs a été le prochain de l’homme attaqué par les bandits ? » La réponse du légiste ne peut qu’évoquer la personne du samaritain, mais, comment la dire, comment l’exprimer ? C’est un religieux, c’est un juif et prononcer le mot samaritain va le rendre impur !

Mais, c’est un excellent casuiste, et, pour dire sa réponse, il utilise une  ellipse: « C’est celui qui a été miséricordieux avec lui. »

La réponse suggérée par Jésus est inattendue, surprenante, voire plus, renversante. Cet homme s’est longuement impliqué dans la quête du prochain, et, au terme de celle-ci, Jésus lui fait découvrir que c’est lui qui est ce prochain! Cette nouvelle définition du prochain est une invitation à entrer dans un renversement total de ma démarche. Il ne s’agit plus d’un acte qui me met dans un mouvement effréné à la recherche de cet autre! Car, la question, « Qui est mon prochain ? » est devenue aux yeux du Christ, « De qui suis-je le prochain? » Etre un prochain, c’est donc entrer dans une attitude de disponibilité pour celui qui vit le manque. Et, pour être ce prochain disponible, il est nécessaire d’être habité par  la qualité première de cet homme de Samarie: la miséricorde. Etre un  prochain implique le complet renversement de ma personne, le retournement de ma pensée et de mon regard, à l’image du Christ qui a accepté ce renversement. Paul nous décrit la démarche du Christ, dans le chapitre second de sa lettre aux chrétiens de Philippes.

 

« S’il y a donc un appel en Christ, un encouragement dans l’amour, une communion dans l’Esprit, un élan d’affection et de compassion, alors comblez ma joie en vivant en plein accord. Ayez un même amour, un même cœur ; recherchez l’unité ; ne faites rien par rivalité, rien par gloriole, mais, avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous. Que chacun ne regarde pas à soi seulement, mais aussi aux autres. Comportez-vous ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus Christ : lui qui est de condition divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et, reconnu à son aspect comme un homme, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix. Car, il a accepté de se dépouiller de sa nature divine pour nous rejoindre en une nature humaine, et, pour cela, il a du obéir à son Père ! »

 

Devenir un prochain, c’est entrer dans l’obéissance au Père, à l’image du Christ. C’est accepter une attitude de disponibilité pour cet autre, dont le faciès, l’aspect, l’état de dénuement, l’odeur, le vocabulaire peuvent me poser problème! L’échange entre Jésus et le légiste se termine par ces paroles : « Va, et toi aussi, fais la même chose ! »

Fais la même chose, en peu de mots…

C’est se placer dans les pas de ce samaritain, en vivant pleinement l’Evangile pour l’autre!

C’est incarner sa providence, un mot dérivé d’un verbe latin, dont le sens est : pourvoir. Un verbe qui a presque toujours comme sujet Dieu, et, derrière la figure du samaritain, c’était Dieu qui était le sujet! Cet homme de Samarie n’a accepté que faire une seule chose, devenir les bras du Père.

Devenir le prochain de l’autre…

C’est accepter de partager ce qui nous anime, ce qui  nourrit notre existence… l’Evangile.

Partager l’Evangile n’est pas seulement le faire en paroles, dans le dire, mais aussi dans nos gestes, nos actions qui valident l’authenticité de nos paroles.

Ce qui a animé cet homme de Samarie, Luc nous le dit, une première fois dans le texte : « Un Samaritain arriva près de lui et fut ému aux entrailles » Et, une seconde fois, dans la réponse biaisée du légiste: « C’est celui qui a été miséricordieux ! »

Devenir le prochain de l’autre implique de vivre la  miséricorde, le bouleversement de mes entrailles, face au constat de pauvreté spirituelle, de pauvreté existentielle, de pauvreté matérielle d’un autre.

Cet amour n’est pas altruiste, mais c’est un amour qui ne peut nous habiter  que si l’Esprit Saint nous l’a accordé et qui a pour nom : Agape!

Notre légiste, avait été respectueux de la loi, il se faisait un devoir d’agir vis-à-vis du prochain, mais son agir relevait uniquement de la stricte obéissance aux commandements transmis par Moïse.  Jésus, en le retournant, l’invite à vivre, au plus intime de soi-même, cette loi, qu’il connaît si bien. Et, c’est pour qu’il puisse la vivre pleinement qu’il l’envoie dans le champ de son action, le monde, en lui disant cette parole: « Va, et toi aussi, fais la même chose ! »

Cette parole est intemporelle et elle reste actuelle pour chacun de nous!